Inventaire des biens des églises en 1906

Pourquoi proteste-t-on contre l’inventaire ?

Titre d’un article publié dans La Seudre, le 11 février 1906

Les paragraphes suivants, parus dans ce journal entre le 11 février et le 4 mars 1906, décrivent comment les inventaires ce sont déroulés dans quelques paroisses de la Saintonge Maritime.

« Beaucoup de catholiques ont protesté contre l’inventaire des biens des Eglises. Ces protestations ont même provoqué l’assaut donné à certaines Eglises par la police gouvernementale et par ses Apaches, qui constituent la police spéciale supplémentaire des gouvernants d’aujourd’hui.

L’attitude énergique des catholiques a déterminé à Paris et dans les grandes villes un déploiement extraordinaire de force armée.

Ici l’on présente la baïonnette ; c’est en Bretagne, je crois ; mais la baïonnette se heurte à des poitrines plus solides que l’airain, parce que sous ces poitrines, bat un cœur fort comme la mort.

Là c’est un immense cordon d’agents ou de soldats qui interdit à l’évêque l’entrée de sa cathédrale et brise le timon de sa voiture.

A côté, c’est un autre vaillant évêque doublé d’un vieillard octogénaire qui passe la nuit en prières dans son église regorgeant de fidèles.

Breuillet.

Dans la commune de Breuillet, qui compte à peine soixante homme catholiques, l’inventaire a eu lieu samedi dernier dans des conditions qui montrèrent en même temps et la férocité de ceux qui sont chargé de l’application de la loi et la foi vivace qui subsiste encore au fond des cœurs de notre vaillante population.

L’inventaire était fixé pour onze heures et dès huit heures et demie, l’église, où quelques femmes étaient venues assister à la messe, était cernée par une quinzaine de gendarmes des brigades de Royan, Saujon, Cozes, La Tremblade. La brigade de Marennes, convoquée aussi, n’avait pu traverser la Seudre, échappant ainsi au triste rôle qu’on voulait lui faire jouer. Les jeunes filles présentes s’élancent à la porte qu’elles essayent de fermer, mais sont repoussées par les gendarmes ; alors, avec une énergie au-dessus de tout éloge elles se mettent à sonner le tocsin. De toutes parts les catholiques arrivent mais ne peuvent parvenir jusqu’à l’église, les routes y aboutissant étant barrées illégalement, puisque l’arrêté du maire prescrivait d’interrompre la circulation à partir de dix heures seulement. MM. De Verthamon arrivent sur ces entrefaites, et, suivis d’une foule nombreuses, parviennent près de l’église, dont les portes sont gardées par les gendarmes qui ne laissent ni entrer ni sortir. Des groupes nombreux se forment et les gendarmes, ne pouvant contenir les paroissiens qui passent à travers champs, se replient sur l’église. A dix heures et demie, un lieutenant de gendarmerie, accompagné du commissaire de police de Royan, arrivent bientôt suivis du sous-préfet, M. Vacquier ; de l’employé des domaines et d’un comparse.

Puis, fermant la marche, le maire qui aurait certainement préféré être ailleurs, car il est des besogne qui répugnent aux honnêtes gens quelle que soit leur religion.

Après une énergique protestation lue par M. le curé, entouré de M. de Verthamon, président, et des autres membres du conseil de fabrique1[1], l’employé des domaines pénètre dans l’église et procède à l’inventaire accompagné de deux témoins ; le garde-champêtre plus mort que vif, et un conseiller municipal, M. Girard, qui, tout à l’heure, aura la … faiblesse de signer l’inventaire.

Les fidèles massés à l’extérieur chantent des cantiques.

Leur mission terminée, le sous-préfet et ses tristes acolytes gagnent la mairie suivie de la foule des catholiques qui continuent à chanter et se massent devant la mairie. Le procès-verbal de l’inventaire terminé et les gendarmes regagnant leurs cantonnements, les catholiques vont à l’église où est donnée la bénédiction du Saint Sacrement.

Cette énergique protestation fait honneur aux catholiques de Breuillet, qui on ainsi affirmé une fois de plus et leur courage et leurs convictions.

L’anecdote suivante mérite d’être signalée :

Comme une dame de la commune faisait remarquer à un gendarme combien sa femme et ses enfants devaient être attristés qu’on l’employât à pareille besogne, des larmes jaillirent des yeux de ce brave homme.

L’Eguille.

Un sous inspecteur de l’enregistrement accompagné de M. le sous-préfet de Marennes, du lieutenant de gendarmerie et d’un commissaire de police s’est présenté lundi matin pour procéder à l’inventaire.

Monsieur le curé entouré de son conseil de fabrique a lu une énergique protestation, et pendant la durée de l’opération, les fidèles venus en grand nombre ont chanté des cantiques.

Le Gua.

L’invenataire de notre église a donné lieu à une ardente manifestation. Le tocsin, sonné par de courageuses chrétiennes, avait amené à l’église une foule nombreuse. A la lecture de l’énergique protestation du curé de la paroisse, les fidèles répondent par des protestations non moins énergiques, et l’agent du fisc avançant dans l’église, est suivi par la foule chantant : Nous voulons Dieu, Je suis chrétien et Parce Domine.

Les opérations durent deux heures, pendant lesquelles l’agent du fisc ne se lasse pas plus de faire sa triste besogne que les fidèles de lui redire leurs chants de protestation et leurs cris répétés de Vive le pape ! Les signes d’impatience qu’il donne de temps en temps ne servent qu’à augmenter l’ardeur de la foule, qui l’accompagne jusque dans la rue et le poursuit de huées.

La manifestation se termine par un Salut de réparation, et les fidèles se dispersent silencieusement, se sentant plus catholiques, et fiers d’avoir su, par l’éclatante affirmation de leur foi, empêcher l’agent de porter un regard sacrilège jusque dans le tabernacle, ainsi qu’il parut en avoir eu, un instant, l’intention.

Les Mathes.

L’inventaire de l’église des Mathes a eu lieu le mardi 20 février, à une heure de l’après-midi.

M. Béguet, percepteur à la Tremblade, avait reçu une commission spéciale à cet effet. A l’heure dite, il se présente à l’Eglise où un certain nombre de fidèles ou d’enfants, douloureusement impressionnés l’attendaient en priant et en chantant des cantiques.

Avant l’opération, M. le curé, entouré de son conseil de fabrique, a lu, au nom de tous avec une émotion communicative, une énergique protestation. Après quoi, l’inventaire ayant été fait, les fabriciens ont protesté à nouveau à la sacristie, déclarant refuser de signer un acte qu’ils regardent comme la main mise de l’Etat sur les biens qui sont la propriété de l’Eglise et de la fabrique, et la première mesure d’exécution de la loi de séparation formellement condamnée et réprouvée par le Pape ; que, par conséquent, d’accord avec M. le curé, ils ont assisté à cet inventaire, seulement en spectateurs passifs et attristés de ne pouvoir rien contre la force pour force pour défendre plus efficacement les droits de Dieu et de l’Eglise qui sont aussi les leurs.

Quelques instants après, M. le percepteur ayant achevé son œuvre, très correcte d’ailleurs et ému lui-même, s’est retiré et la bénédiction du Saint-Sacrement a été donnée.

Moèze.

Le percepteur désigné après trois sommations inutiles au presbytère, a dû se rendre chez le maire pour se faire ouvrir la porte de l’église.

On se demande comment s’est fait l’inventaire, car l’agent et ses deux témoins (le garde-champêtre de Moëze et le garde-marais de Beaugeais) ne sont pas restés plus de 20 minutes à l’église. Du reste, maire, percepteur et témoins, absolument dépaysés dans une église, n’y seront venus que pour consacrer par leur signature, un acte de vandalisme plus ou moins éloigné. »



[1] La fabrique, au sein d'une communauté paroissiale, désigne un ensemble de « décideurs » (clercs et laïcs) nommés pour assurer l'administration des fonds et revenus nécessaires à la construction puis l'entretien des édifices religieux et du mobilier de la paroisse. Les fabriques sont supprimées par la loi de séparation des Églises et de l'État en 1905. Le décret du 29 décembre 1905, prévoit l'inventaire des biens des Églises. (Wikipédia)