Conférence : Catholiques et Protestants de la presqu'île d'Arvert. Une coexistence apaisée au XIXe siècle ?

Cette conférence a été présentée par Nicolas Champ, Maître de Conférence en Histoire contemporaine à l'université Bordeaux III.

90 spectateurs ont écouté les propos de Nicolas Champ dans la Salle Equinoxe de la mairie de Vaux-sur-Mer, le 20 janvier 2012.

En voici un résumé accompagné de quelques documents projetés par le conférencier.

Le public de la Salle Equinoxe à Vaux-sur-Mer
Le public de la Salle Equinoxe à Vaux-sur-Mer
Nicolas Champ
Nicolas Champ

 

Catholiques et protestants de la presqu’île d’Arvert. Une coexistence apaisée au XIXe siècle ?



La France, au cours du XIXe siècle, grâce à la loi du 18 germinal an X, connaît une situation inédite, celle de la reconnaissance par l’Etat de plusieurs cultes. Cette loi permet aux catholiques et aux protestants de bénéficier d’un financement public pour les salaires des pasteurs, la construction et l’entretien des édifices cultuels (églises et temples) comme des presbytères. De plus, l’instruction religieuse restant au cœur des programmes de l’enseignement primaire jusqu’aux lois Ferry dans les années 1880, les clercs et la religion jouent un grand rôle dans la structuration du paysage scolaire.
Cela s’observe tout particulièrement dans la presqu’île d’Arvert, surnommée la « petite Canaan saintongeaise » pour sa forte présence protestante. Au milieu du XIXe siècle, cette région compte plus de huit mille protestants, la moitié de la population réformée du département et sept des treize communes des cantons de Royan et de La Tremblade ont une majorité calviniste. La croissance démographique est régulière au cours du siècle et, dans les années 1900, Royan est la première ville protestante du département.
Cette situation explique l’énergie des évêques de La Rochelle pour renforcer la présence cléricale dans ces cantons. A l’initiative surtout de Mgr Villecourt, le nombre de paroisses est ici doublé entre les années 1840 et les années 1870, dans un but évident de lutte contre les protestants. Ce souci de renforcement des cadres de la religion est également perceptible du côté des protestants. A la fin du siècle, à l’exception de Saint-Augustin et des Mathes, toutes les communes de la presqu’île ont leur pasteur. Certains marquent durablement la région, ainsi, à La Tremblade, du pasteur Lafon, dont l’un des fils est pasteur à Etaules et l’un de ses petits-fils pasteur à Breuillet.

Les lieux de cultes
Non seulement, on augmente le nombre des clercs mais s’observe aussi un vaste mouvement de construction de lieux de culte. Du côté catholique, ce sont surtout des agrandissements et des rajouts de clochers mais il y a quelques nouveaux édifices remarquables, comme, par exemple l’église du Sacré-Cœur de La Tremblade (1894) qui devient un lieu de pèlerinage. Chez les protestants, s’observent des tendances contradictoires : certes, on cherche à marquer la plus grande intégration des huguenots dans l’espace communautaire par l’édification de lieux de culte plus centraux (Arvert, Breuillet) mais on maintient des lieux de culte plus isolés, témoignage de fidélité à la foi des persécutés du XVIIIe siècle (Avallon, le Maine-Geoffroy à Royan, le Billaud à Breuillet). Une véritable émulation se repère dans certaines communautés. Ainsi, à Royan, le grand temple est inauguré en 1844, en présence de 18 pasteurs : c’est le temple qui coûte le plus cher jusqu’à la fin du siècle ; en 1878, la consécration de l’église Notre-Dame se fait avec un faste digne d’une cathédrale, puisque, outre l’évêque de La Rochelle, trois autres évêques sont présents et la cérémonie est présidée par le cardinal de Bordeaux. Cette émulation et concurrence est également visible dans des édifices plus modestes, les presbytères. « La construction d’un presbytère, proclamait le pasteur François Puaux, sera chose qui donnera de la consistance à notre protestantisme ». De fait, sauf à Royan et Chaillevette, toutes les communautés protestantes de la presqu’île jouissent d’un presbytère pour leur pasteur.

Les œuvres charitables et scolaires
L’influence des Eglises, via leurs œuvres charitables et scolaires, est aussi un fait réel au XIXe siècle. Au début, un seul ordre religieux est ici présent, les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, à Royan, chargées des soins aux malades et de l’enseignement gratuit des petites filles pauvres. La loi Falloux (1850) va faciliter l’essor des congrégations. Pas moins de dix-maisons différentes ont existé entre 1850 et 1904. Leurs tâches sont multiples : outre l’enseignement, elles se chargent des soins aux malades à domicile et tiennent, un orphelinat (Mornac). Leur installation a été facilitée par la générosité des notables catholiques de la région. A La Tremblade, la famille Cotard n’hésite pas à donner leur maison pour qu’y prennent place les Frères des Ecoles chrétiennes. La famille Drilhon a financé la fondation de cinq écoles libres. Du côté protestant, le zèle n’est pas moindre. Dans les années 1820, nombre de pasteurs et de laïcs s’engagent en faveur de l’enseignement mutuel. Dans les années 1850, pour répondre à l’école des Frères, gratuite, le conseil presbytéral de La Tremblade fait appel à un instituteur originaire de l’Aisne, Drancourt, passé par une école normale. Il doit diriger une école que le conseil presbytéral rend gratuite pour tous les petits protestants. L’œuvre la plus marquante reste cependant l’Asile Emilie ouverte par Marie-Anne Bouyer en 1854. Accueillant des orphelines, l’Asile Emilie rayonne bien au-delà des deux Charentes.

Les cimetières
Au quotidien, certains domaines restent très sensibles. Par exemple, l’accès au cimetière communal est loin d’être le cas pour tous. Héritage des persécutions de l’époque moderne, nombre de protestants continuent à être inhumés dans leurs propriétés. Les cimetières privés sont un trait majeur du paysage religieux de la presqu’île d’Arvert. Jusqu’en 1881, la législation prévoit la mise en place d’espaces funéraires communaux séparés pour les catholiques et les protestants. La mesure s’impose difficilement : à Saint-Augustin, le cimetière mis en place pour les protestants resté vide de sépultures, le terrain est réemployé pour y édifier le temple. Quand la séparation confessionnelle est abolie, il se produisit des heurts violents aux portes du cimetière de Mornac. Un journal rapporte que « la porte est frappée à coups de cercueil, transformé pour la circonstance en bélier de siège, et l’ardeur à frapper est si grande que le cercueil tombe par terre. Une véritable mêlée s’engage : des femmes menaçantes se jettent sur le maire et sur l’adjoint ; des hommes tombent sur le garde-champêtre et sur les douaniers qu’ils s’efforcent de désarmer. »

Les choix politiques
Les appartenances confessionnelles sont aussi un élément structurant des choix politiques. Lors des législatives de 1876, le candidat malheureux, Omer Charlet, un peintre catholique, se plaint qu’il ait été qualifié d’« Oint de l’Eglise, sacré candidat et apôtre par 22 curés », ce qui n’a pu que lui être défavorable « dans un pays qui compte un si grand nombre de protestants ». A cet égard, il est significatif que la presqu’île d’Arvert vote massivement pour le candidat républicain lors de la plupart des consultations politiques entre 1870 et 1914. La seule commune qui tranche dans ces choix est celle des Mathes, la seule où les protestants sont très minoritaires…

Le XIXe siècle apparaît comme une époque de vigoureuse émulation entre les Eglises catholique et protestante dans la presqu’île d’Arvert. Pasteurs et curés rivalisent dans leurs entreprises scolaires et charitables. Du côté catholique, certains observateurs notent que la ferveur religieuse est plus grande que dans le reste de la Saintonge. Quant aux protestants, ils taisent plus souvent leurs divisions quand ils se retrouvent face aux catholiques. Il s’agit d’une coexistence certes relativement paisible mais qui connaît néanmoins de multiples micro-conflits structurant les identités de chaque groupe.

                                                                                 Nicolas Champ

Nicolas Champ présente son livre au Maire de Vaux-sur-Mer
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