_________________________________________________________

Saujon

 le prieuré de Saint Martin et ses chapiteaux

 _________________________________________________________

 

 

Par Omer Baudry

 

 

Une abbaye est fondée autour du Ve siècle. Elle adopte la règle de St Benoît vers 650. On en sait très peu de choses sinon qu'un de ses abbés, dans la 2e moitié du VIIe siècle s'appelait Martin et qu'Émilion, mort en 767, en fut le célérier avant d'être ermite sur les coteaux dominant la Dordogne (aujourd'hui Saint-Émilion). Cette première abbaye est détruite par les Normands vers 865 puis au Xe siècle.

 

En 1095, le pape Urbain II fait de St Martin une dépendance de l'abbaye de St Martial de Limoges. C'est alors qu'est entreprise la construction d’une église romane et sans doute des bâtiments prioraux.

 

La charte N° 22 du cartulaire de l'abbaye St Etienne de Vaux, étudiée par Daniel Lesueur, révèle que Girard, l'ambitieux évêque d'Angoulême, artisan du schisme d'Anaclet (voir Fil de la Seudre N° 319), conclut un accord entre l'abbé de St Martial de Limoges et le prieur de Saujon d'une part et l'abbé de St Etienne de Vaux, en 1117, à propos de l'église de St Sulpice : « Donc après avoir écouté avec attention les arguments de chacune des deux parties, nous avons établi cet accord: chaque année à la fête du bienheureux Martin, vous paierez aux moines de Saujon deux sous de la monnaie commune qui aura cours dans cette contrée. L'abbé de Limoges, le prieur de Saujon et les moines qui étaient avec l'abbé sont convenus de cet accord. »  (transcription et traduction de Daniel Lesueur).

 

En 1209, le prieuré est détruit une première fois par Geoffrey de Tonnay pendant la guerre qui oppose Philippe Auguste et Jean-Sans-Terre puis, pendant la guerre de 100 ans, en 1409 ou 1410, date à laquelle elle devint la seule église paroissiale de Saujon, sous le double vocable de St Jean et St Martin. Elle disparaît pendant les guerres de religions en 1572.

 

Les bâtiments prioraux aussi bien que l'église étaient disparus depuis longtemps bien que le cimetière y soit resté jusqu'en 1840,date de son transfert à son emplacement actuel.

 

Cependant, différentes découvertes dont des sarcophages, à l'occasion de travaux, encouragent Léon Massiou, un érudit local, à entreprendre en 1912 des fouilles à l'emplacement de l'ancien cimetière et ses découvertes dépassent ses espérances puisqu'il retrouve les substructures de l'ancienne église et en particulier 4 chapiteaux qui sont classés parmi les plus beaux de Saintonge avec ceux de St Eutrope. Leur style les fait dater des environs de 1120-1130. On peut les admirer dans l'église St Jean Baptiste de Saujon où ils ont été installés à hauteur du regard. Ils sont classés monument historique. Avec l'arrivée de la guerre de 1914-1918, les fouilles sont interrompues et recouvertes dans l'attente de nouvelles fouilles qui permettraient sans doute d'en savoir plus sur le prieuré de St Martin.

 

 

Chapiteaux provenant du prieuré de St Martin

 exposés dans l'église de Saujon

 

Les chapiteaux de Saujon sont justement célèbres par la richesse de l'iconographie et la qualité de la sculpture. Malgré les attitudes raides et compassées des personnages, on ne peut s'empêcher d'admirer le raffinement des plis des vêtements. Il faut aussi remarquer les détails de la sculpture, comparables à ceux de St Eutrope : broderies de certains vêtements, mèches des cheveux ou crinière des lions, détails du tombeau, représentation du diable....

            

Premier chapiteau : L'homme portant un poisson.

 

 Les spécialistes pensent que le thème est profane. Nous voyons deux hommes face-à-face, celui de gauche porte sur l'épaule un énorme poisson si lourd qu'il lui fait plier le genou, l'autre porte une houe. Est-ce une représentation du pêcheur et du paysan ? Un symbole de la terre et de la mer qui montrent la générosité du Seigneur ? À remarquer les vêtements somptueux et leurs chaussures effilées. Cela peut-il correspondre à des hommes du peuple ?

 

On peut aussi y trouver une signification religieuse. Il pourrait s'agir du jeune Tobie (Tb,6 1-9) qui a pêché un énorme poisson dans le Tigre, l'a mangé mais, sur les conseils de l'ange Raphaël, en a conservé le foie, le cœur et le fiel. Il s'en servit pour chasser le démon Asmodée qui accablait sa future épouse en faisant mourir tous ses maris le soir de leur mariage (Tb,6 17-18) et pour guérir la cécité de son père Tobie (Tb,11 11-13). L'autre personnage symboliserait Tobie père qui ensevelissait les morts, la houe pouvant être considérée comme l'outil du fossoyeur.

 

 Deuxième chapiteau : le pèsement des âmes.

 

 Ce chapiteau est à comparer à celui de St Eutrope de Saintes, la mise en scène est la même. L'archange St Michel, tenant la balance est à l'angle de gauche et le diable hirsute pustuleux, à l'angle de droite. À Saujon, un deuxième ange semble renforcer la puissance de Dieu en repoussant de la main le démon qui appuie de tout son poids pour faire pencher la balance de son côté. De plus, St Michel tenant la balance, tient la main de l'âme représentée par un personnage nu, en un geste de tendresse comme pour la rassurer. Ce thème est le témoignage d'une foi très forte en la rédemption et en la miséricorde de Dieu.

 

Les détails sont très soignés : remarquer les vêtements amples et drapés des anges, leur chevelure, les plateaux de la balance en vannerie.

 

À noter que le thème du pèsement des âmes est représenté dans le livre des morts égyptien nettement antérieur à l'ère chrétienne.

 

Troisième chapiteau : la Résurrection du Christ ou les Saintes Femmes au Tombeau

 

 Le tombeau occupe la partie centrale de la corbeille (partie décorée du chapiteau), il est surmonté de trois arcatures soutenues par deux colonnes torses, le tombeau est représenté par un sarcophage orné de croisillons sur un piétement d'arcatures, un ange en soutient le toit. Le tombeau vide est symbolisé par un tissu -le linceul- avec des replis brodés, il semble flotter au vent. À droite, les saintes femmes tenant à la main des flacons d'aromates, la deuxième se retourne. À gauche c'est l'apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine: noli me tangere, (Jean 20, 17) «  ne me touche pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père ». Là aussi, les vêtements sont très soignés et les femmes ont des coiffes à mentonnière.

 

Quatrième chapiteau : Daniel dans la fosse aux lions.

 

 Ce chapiteau ressemble beaucoup à celui de St Eutope de Saintes, mais avec une différence : à St Eutrope, Daniel lève les deux mains en un geste d'oraison peu représenté après le XIè siècle: (Daniel 6, 23: « Mon Dieu a envoyé son ange et il a fermé la gueule des lions et ils ne m'ont fait aucun mal parce que j'ai été reconnu innocent devant Lui »). À Saujon, Daniel est assis entouré d'une sorte de mandorle en forme de fer à cheval et ornée de perles. Elle matérialise la protection de Dieu qui l'isole des lions. Il tient de la main gauche le Livre fermé et de la main droite, il fait le geste de la prière. Cette représentation évoque les Christ en gloire : Daniel est considéré comme un précurseur du Christ et comme un lien entre Adam et celui-ci. L'Ancien Testament annonce le Nouveau.

 

Remarquer les riches habits de Daniel et la représentation très travaillée des lions qui ont un petit air oriental.

 

Après avoir admiré les chapiteaux de Saujon, vous pourrez voir ceux de Saint-Eutrope. Ils sont à la croisée du transept. La nef ayant été détruite, on les voit donc dès l'entrée dans l'église. En montant à la tribune, on peut les admirer d'assez près pour apprécier toute la finesse des détails.

 

Ce texte est largement puisé dans La sculpture romane en Saintonge sous la direction de Jacques Lacoste (Éditeur Christian Pirot) et le dépliant sur les chapiteaux de Saujon réalisé par la municipalité de Saujon d'après les études de Jean-Pierre Hible.

 

Quatre chapiteaux de l'ancien prieuré Saint-Martin de Saujon

exposés dans l'église de Saujon

Eglise Saint-Marcel (XIIe) de Lagraulière, Corrèze

Le porche est orné, sur chacune de ses faces intérieures, d'une double arcatures en plein cintre avec colonnettes et chapiteaux sculptés et une décoration de bas-reliefs, représentant, du côté nord, la mort du mauvais riche, et du côté sud, un avare aux prises avec un démon et un homme ployant sous le poids d'un énorme poisson. Le portail, encadré de fines colonnettes, s'ouvre sous une triple archivolte en tiers point.